En août 2013, nous fûmes une quinzaine à nous rendre dans la région des Ordos, en Mongolie intérieure, sur les pas de Pierre Teilhard de Chardin. Teilhard, en 1923, avait conduit là des fouilles, en compagnie de son confrère Émile Licent. Dans la vallée où nous campions pour quelques jours, il avait composé La Messe sur le monde. Nous venions presque tous de Shanghai, enseignants et étudiants de troisième cycle de l’université Fudan, membres de l’Académie des sciences sociales de Shanghai ou de l’équipe rédactionnelle de la revue des écrivains de cette ville.  Voyageaient aussi avec nous trois membres de l’Institut Ricci de Taipei, en charge de la réalisation d’un documentaire sur

Teilhard et la Chine.


Double équipée : il s’agissait de lire, en un lieu privilégié, les textes d’un penseur qui avait fait de « l’infini de complexité » le lieu paradoxal de la recherche du plus simple et fondamental ; il s’agissait aussi d’apporter un peu de simplicité en nos vies par la magie propre du lieu comme par l’observance d’un partage quotidien dont le thème évoluait de jour en jour en fonction des troubles ou

des intuitions dégagés dans l’échange du jour précédent.


Notre groupe en fera très modestement l’expérience : avancer dans la steppe mongole, c’est éprouver la constance du mouvement, sa monotonie presque : point de place où naturellement s’arrêter, point de changement dans la continuité du changement. Il faut suivre le fil d’une route qui semble ne surgir de nulle part et ne mener vers nul lieu fixe. La rumination se nourrit de cette avancée sur un fil qu’aucun nœud ne paraît scander.

Toute la journée j’ai suivi la route, et n’ai vu – si c’est voir – que la steppe, la steppe comme un cliché en noir et blanc dont le calme et le grain vous rigidifieraient quand même tout en vous s’agite. Un seul mouton, qui vous regarde quand il devrait brouter les herbes grises, et puis, dans le lointain, une bergère statue de sel toujours à brandir son bâton. Une terre sèche et craquelée, mais dont l’eau par endroits dégorge – une ligne, peut-être, a craqué, elle n’irrigue plus que ce qui ne demande pas à l’être, et l’eau bouillonne de regret. L’eau perdue, seule vivante dans ce cliché que je reprends cette heure sur la latitude de son négatif.

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