C’est le 5 février qu’en cette année 2019 l’on fêta le nouvel an lunaire chinois et, du même coup, le têt vietnamien. Quelques jours après cette date, je me rendis dans un village situé à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Hanoï, dans une région de collines habitée par des membres de la minorité Muong. Je ne m’y trouvais pas pour les festivités qui marquent le premier mois lunaire, mais pour observer le début des travaux dans les rizières. J’eus le privilège de loger toute une semaine dans la maison d’une des familles du village.


Dans la grande salle commune où nos nattes étaient déroulées pour la nuit, se dressaient un lourd buffet, et, presque adossé à lui, un meuble de proportion plus modeste, l’un et l’autre composant l’autel des ancêtres de la famille Bui.


Quinze jours auparavant, au repas du nouvel an, nous dit la maîtresse de maison, on avait préparé les tables pour inviter tous les ancêtres à manger. Chez les Muong, contrairement à la coutume des Viêt (ou Kinh - l’ethnie majoritaire), on dispose aussi une table pour le père de l’épouse s’il est décédé, infléchissant ainsi quelque peu la stricte loi patrilinéaire.


La présence des ancêtres se manifestait encore autrement. Une vingtaine d’années auparavant, le gouvernement avait organisé le regroupement des corps dans un cimetière. Mais dès qu’on se promenait sur les marges du village, parmi les bosquets de bambou qui en séparent les alvéoles, on trouvait des pierres levées, souvent cinq, à l’emplacement de la tête et des membres - les époux allongés l’un à côté de l’autre, ou parfois la mère et un jeune enfant reposant à part. 


Ces pierres étaient de taille modeste. Dans le passé, me dit celui qui m’accompagnait, elles mesuraient souvent entre un mètre quatre-vingt et deux mètres.


J’assistai aussi à un rituel célébré au moment où l’on recommence à travailler les rizières, grande célébration dont le gouvernement avait pris la direction. Il n’empêche : le discours du représentant du Parti ne pouvait qu’affirmer que pareille fête était célébrée “pour montrer à nos ancêtres que nous travaillons toujours courageusement la terre”, et, son discours une fois achevé, les officiels suivis de tous les assistants vinrent brûler l’encens en hommage à ces mêmes ancêtres à l’emplacement disposé à cet effet dans la grande prairie où se tenait la célébration, en contrebas de la grotte où un oiseau mythique a déposé les œufs d’où sortirent les Muong.

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