L’immeuble et la pagode


Dans les années quatre-vingt, Michel de Certeau, écrivit un article sur la vue de New-York que l’on avait alors depuis le cent dixième étage du World Trade Center. Il montrait combien la maîtrise de l’espace que l’on croyait avoir depuis ce point d’observation était artificielle. La ville devenait un « concept optique » bien davantage qu’un corps vivant. D’un point élevé, nous croyons dominer la ville mais nous en perdons la saveur.  Malheureusement, les planificateurs contribuent à cette perte du goût : la ville, de nos jours, a du mal à s’inventer et se réinventer dans l’ingéniosité des pratiques quotidiennes des vendeurs ou des piétons, elle sort déjà toute faite du cerveau des planificateurs. Il nous faut sans cesse lutter, ruser pour nous la réapproprier.


Dans une ville chinoise qui mêle encore l’ancien et le nouveau, on sent tout de suite ce qui sépare la verticalité des pagodes de celle de l’arrogant gratte-ciel de centre-ville. Ce dernier est pure verticalité. Seul compte son point d’aboutissement, qu’il rêve de porter toujours plus haut. A l’image des arbres qui l’entourent, la pagode est un dédale, une sorte de labyrinthe. Elle va vers le haut, certes, mais elle plonge, elle aussi, des racines dans le sol. On se promène en son intérieur comme on se promène dans un tronc creux. Les cheminements sont multiples. On peut redescendre ses escaliers, tourner au même étage d’une ouverture à l’autre, s’adosser sur ses parapets. De là aussi on domine la ville ou le parc, mais de pas trop haut ; Pour un peu, on se pencherait et hèlerait les passants qui flânent un peu plus bas. Dans l’immeuble, on circule en ascenseur d’un point à un autre, il n’est pas conçu pour flâner...


La pagode et l’immeuble m’évoquent deux langues très différentes. La langue de l’immeuble est très structurée grammaticalement et possède un vocabulaire pauvre. C’est une langue mathématique. Elle est utile pour échanger des informations commerciales sans équivoques. A l’inverse, la langue de la pagode est riche en vocabulaire, imprécise en syntaxe, elle permet à son locuteur d’inventer de magnifiques poèmes mais se révèle un bien mauvais outil pour le négoce... Mais les langues sont parlées par des hommes. Les langues deviennent des paroles. On peut faire des poèmes en n’importe quelle langue, et les difficultés de la langue rendent souvent les poèmes plus beaux. Nos trajets dans l’immeuble ou dans un centre-ville sont comme les paroles que nous prononçons dans la conversation, les poèmes que nous nous fredonnons. Les regards que nous portons sur les façades d’immeuble noyées de soleil ou de pluie, les sourires que nous échangeons avec les passants, même si ces derniers sont pressés, notre façon de faire des aller et retour sur les trottoirs pour le simple plaisir de nous sentir vivants, tout cela finit par humaniser la grammaire sévère de la ville. Notre imagination doit suppléer à celle des planificateurs, et notre façon d’habiter la ville, d’inventer la ville nous rendra semblables à ces arbres qui verdoient à l’entour de la pagode.

Day watcher



Looking, looking over the cliff


I see nothing.


Gazing, gazing, gazing skywards


I see I see I see nothing.


Here is the cliff, the day to be,


And Nothing, through which I foresee


That God may be growing in me.

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