AVEC LE VENT

Une présentation de Benoît Vermander
Par Myriam Kryger, Commissaire de l’exposition "L'Attrait du Trait" (Paris, janvier-février 2024)

On peut avoir une mauvaise vue et tout percevoir, une ouïe défaillante et tout entendre, être maladroit et viser juste. C’est la force d’une intelligence exceptionnelle, d’une sensibilité remarquable et d’une ouverture à l’autre des plus généreuses. Tel est Benoît Vermander, qui mène de front la peinture, la poésie et une activité intellectuelle et académique des plus exigeantes.

« Honnête homme » à la française autant que « Lettré » à la chinoise, ce grand et si modeste savant est porteur d’un double héritage culturel dont il opère une synthèse très personnelle et résolument contemporaine pour creuser un chemin original.

Docteur en sciences politiques, c’est en tant que jeune conseiller d’un Président de Région qu’il met son premier pied en Chine en 1987. À l’occasion de cette brève mission, il tombe en arrêt devant une calligraphie, à laquelle il doit sa double renaissance d’artiste et de sinologue. Sans rien connaître ni de la Chine ni de son esthétique, il ressent immédiatement que « la calligraphie est un sismographe de notre vie intérieure », pour reprendre la formule de François Cheng. Cette intuition le conduit à s’engager dans l’apprentissage de la calligraphie et du mandarin. Quelques années plus tard, il s’installe en monde chinois, où il vit et travaille depuis trois décennies. Devenu l’un des plus brillants sinologues, docteur en théologie, professeur au département de philosophie de la prestigieuse Université Fudan à Shanghai, il enseigne l’anthropologie religieuse et fonde le « Centre de recherche Matteo Ricci – Xu Guangqi sur le dialogue entre civilisations et religions ». ll intègre également le cercle très restreint des artistes européens formés durant de longues années à la peinture chinoise, ses techniques mais surtout l’attitude mentale et l’aventure spirituelle dont elles procèdent.

De celui qui peint parce qu’il écrit, de celui qui peint pour ne pas être étouffé par les mots, les créations artistiques naissent d’un processus de désaliénation du verbal. Peu importe le motif, homme, arbre, oiseau, montagne, peu importe l’abstrait ou le figuratif, l’imaginaire ou le souvenir, les œuvres de Benoît Vermander sont le résultat d’un long cheminement spirituel autant qu’une adhésion au pur instant présent, permettant de se libérer de tout carcan.

C’est autant le passage de l’écrit à la peinture que d’un mode culturel à un autre qui constitue, pour Benoît Vermander, une expérience de libération : « Ce n’est pas la culture occidentale qui représenterait l’esclavage et la culture chinoise la liberté, ou l’inverse. C’est le passage d’un mode culturel à un autre qui est en soi expérience de libération. C’est plus exactement l’intégration intérieure de ces deux cultures au sein de la même œuvre d’art qui témoigne d’un cheminement vers plus d’unité et de liberté intérieures. Je ne me pose plus jamais la question de savoir si ce que je crée est davantage chinois ou davantage occidental. Je choisis ce qui est le meilleur pour moi. Je choisis d’instinct, je choisis par goût. Je me laisse porter. Je nais au fur et à mesure que je crée. »


Oscillant entre langage verbal et pictural, philosophie occidentale et spiritualité chinoise, temps long du savoir et immédiateté du geste, parole et silence, érudition et imagination, maîtrise et lâcher prise, Benoît Vermander ne cesse d’enjamber les frontières et de naviguer entre les mondes. Toujours en mouvement, mû par une véritable éthique de la rencontre, il creuse cet entre-deux du passage. Peu surprenant qu’il explore un chemin artistique avec de l’encre et du papier, techniques par excellence de la fluidité, qui laisse toute sa place au hasard et à l’accident, conditions même de la rencontre véritable. Et rien ne fait plus grand bien qu’une rencontre avec Benoît Vermander. Souhaitons que le vent, qu’il aime tant car il met toute chose en mouvement sans qu’on sache jamais d’où il vient ni où il va, vous conduise à croiser son chemin.

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